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La tournée de l’écrivain Philippe Jaenada

« La désinvolture est une bien belle chose », de Philippe Jaenada, Mialet-Barrault, 496 p., 22 €, numérique 15 €.
Pour le rendez-vous, pas de suspense : les lecteurs de Philippe Jaenada savent qu’il serait presque inconvenant de proposer à l’écrivain un autre lieu que le Bistrot Lafayette, à Paris, où il a ses habitudes et qu’il mentionne dans tous ses livres. Ce rade de quartier aurait pu figurer parmi les « mots de passe » de l’auteur. Les bistrots occupent une grande place dans sa vie et son œuvre en général, et dans son nouveau roman, La désinvolture est une bien belle chose, en particulier.
Au cœur de celui-ci, il y a un bar du Quartier latin version années 1950, Chez Moineau, où Ed van der Elsken prit des photographies réunissant de très jeunes gens qui y passaient leurs journées à ­traîner, boire, rêver, s’aimer – les « Moineaux ». Touché par ces enfants de la guerre – les parents de certains avaient collaboré, d’autres avaient été tués à ­Auschwitz –, il tâche de retracer le destin des membres de la bande et essaie de comprendre la mort de Jacqueline Harispe, dite « Kaky », qui a sauté par la ­fenêtre d’un hôtel, en novembre 1953, à 20 ans. Elle avait inspiré à Patrick Modiano Dans le café de la jeunesse perdue (Gallimard, 2007) et apparaissait brièvement dans Au printemps des monstres (Mialet-Barrault, 2021).
Ce voyage dans le temps et à travers les archives se double d’un voyage géographique, puisque l’auteur tresse le récit de ses recherches sur les « Moineaux » avec celui d’un périple le long des « bords » de la France, de Dunkerque à Dunkerque, en passant par les façades atlantique et méditerranéenne, les Alpes, le Jura, l’Alsace… Chaque étape est ponctuée par la visite d’hôtels et de bars locaux, les moins branchés possibles, où il se pose pour écouter les habitants, en éclusant bières et whiskys. Ce dépaysement n’empêche pas de trouver dans l’ample, fra­ternel et beau La désinvolture… nombre des spécialités de la maison Jaenada, en tête desquelles l’humour, la tendresse mélancolique et une obsessionnelle ­précision. Tour d’horizon au-dessus d’un verre – ou deux.
Philippe Jaenada travaillait « depuis un an » à La désinvolture est une bien belle chose quand il a découvert que l’origine de la « dégringolade » de Kaky, qui amènerait à sa mort, était à chercher dans une « toute petite bêtise » de la jeune fille, qui lui avait valu un séjour en maison de redressement puis à la prison de Fresnes (Val-de-Marne), dont elle ressortit changée. Elle avait été victime d’une injustice, comme avant elle d’autres personnages de Philippe Jaenada, ces innocents auxquels il s’est efforcé de rendre post mortem leur honneur : Pauline Dubuisson (La Petite Femelle, Julliard, 2015), Henri Girard (La Serpe, Julliard, 2017), Lucien Léger (Au printemps des monstres). Comme si l’écriture procédait d’un désir de réparation.
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